Vickie Henderson

Vicky Henderson naît en 1926 dans l'Alabama. Bien que l'esclavage soit aboli depuis un peu plus d'un demi-siècle, la ségrégation fait encore rage dans le sud des États-Unis. Son destin va basculer grâce à quelques notes de musique : elle deviendra la première chanteuse et danseuse de cabaret noire en Suisse.

Documentaire sur Arte

CITATIONS

Toutes ces citations sont tirées du documentaire : Instantané d’histoire, Vickie Henderson, une chanteuse noire en Suisse, écrit et réalisé par Claire Leisink, Arte, 2017.

Pour éviter mon père, on passe beaucoup de temps à l’église, maman, mon frère et moi. Pendant que maman prie avec ferveur, moi, j’écoute la musique. Je suis fascinée. Et je le sais, un jour, moi aussi je chanterai. Pour que maman soit heureuse et que mon père me regarde enfin.

Chez tante Elvara, c’est petit, mais je me console avec son piano. Quand je joue, je pense souvent à papa, et je me demande pourquoi il est parti.

Le soir, je travaille dans un club miteux, en douce. Le patron à qui j’ai proposé de chanter m’a dit : « Si tu veux garder ton job, tu danses et tu souris. » Le jour de Thanksgiving, finalement, c’est moi qui vais chanter. Le boss n’a trouvé personne d’autre. Je me suis dépassée, et ça a payé. Un monsieur chic est venu me trouver à la fin du spectacle. Il s’appelle Mr Layne. Il me dit que j’ai un truc à la Joséphine Baker. Il me veut pour sa prochaine comédie musicale. Il est blanc pourtant. J’y crois à peine. Un mois plus tard, je signe mon contrat. Je pars en Europe avec la troupe. Sur le pont de la 3ème classe, j’ai peur. Mais je décide de laisser cette noirceur derrière moi. Pour la première fois, l’horizon s’ouvre devant moi.

À Paris, on joue la comédie musicale « La vallée du bonheur ». Notre spectacle dénonce le racisme. Dans la troupe, il y a des noirs et des blancs. Depuis une semaine, on joue à guichets fermés. Mr Layne m’a à la bonne. Il m’a choisie pour un duo. J’espère être à la hauteur. Après Paris, c’est Stockholm, Amsterdam, Rome. Partout des blancs qui nous applaudissent. C’est à Genève que tout bascule. Dans le public, un homme me regarde avec insistance. Il vient me voir à la fin du spectacle et m’invite à boire un verre. Il s’appelle Joseph. Il est Suisse. Je crois que c’est la première fois que Joseph danse avec une noire. Il a l’air un peu gêné. Je ne suis pas repartie à New York avec la troupe. Depuis deux mois, je vis chez Joseph, à Genève. Je me produis sur des petites scènes. Quand Joseph m’a enfin amenée chez ses parents, son père, Jean, m’a regardée d’un drôle d’air. Je l’ai même entendu dire : « Elle chante bien cette négresse, mais de là à vouloir l’épouser... » Heureusement, sa mère, Marie, m’a tout de suite adoptée. Son fils est tellement fier. Il lui répète : « Vickie, elle va devenir célèbre. » Un an après notre rencontre, le 9 octobre 1950, j’ai dit oui à Joseph. En avançant vers l’autel, papa me manque terriblement. Maman et mon frère Charles n’ont pas voulu venir. Mon frère était furieux. Il me répétait en boucle : « Se marier à un blanc, c’est interdit chez nous. » Après l’église, je porte un toast à nous. Plus fort que le noir ou le blanc.

Moi, jamais je ne serais une militante. Joseph a raison, c’est pas bon pour ma carrière.

En Suisse, moi je peux prendre le bus, et même conduire la voiture d’un blanc.

Ma peau noire, c’est mon gagne-pain. J’enchaîne les rôles dans des films, des publicités, j’accepte tous les cachets. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai du talent, ou seulement pour ma couleur. Peu importe. Ça me permet d’envoyer de l’argent à maman.

J’ai soixante ans. Mon fils Renato est devenu avocat. Le premier avocat noir de Suisse. Il défend les causes des plus démunis. Personne ne sait la peine que j’ai eue. C’était le soir de Thanksgiving. La sonnerie du téléphone m’a fait sursauter. On m’a annoncé la mort de Renato. Mon fils a succombé à une crise cardiaque. Depuis ce jour, je ne suis jamais remontée sur scène.