Aujourd'hui
j'ai de l'argent. Et l'argent sert à quoi, sinon à acheter sa liberté ? Y
a-t-il une chose plus intéressante dans la vie que de prendre son baluchon et
de faire le tour du monde ?
Ce
n'est pas du piratage ce que l'on trouve sur le Net. Les gens ne font pas de
commerce avec. Je ne considère pas ça comme du piratage. Les gens échangent des
choses qu'ils ne trouveraient, de toute façon, pas ailleurs. Ce n'est pas du
business.
Cela
me coûterait beaucoup de ne plus pouvoir être dans la rue. Dans ce cas-là, je
laisserais la musique pour faire autre chose.
Dans mon quartier, à Barcelone, il y a toujours des vieux qui
pensent que mon discours est une apologie du terrorisme (Longueur d’Ondes, 2007).
En
Espagne, quand on fait des concerts, le plus souvent, on ne fait pas d'annonce,
on va dans des clubs et on joue. On fait juste une annonce le jour même. Alors
ça se bouscule et, forcément, les gens qui ne peuvent pas rentrer gueulent. Et
quand on joue dans des grands endroits, il y a toujours des gens qui voudraient
qu'on joue intimiste dans des petites salles.
Fred
Cachan : Qu'est ce que tu ferais si tu avais le portefeuille de Manu Chao
? Manu
Chao : J'irais voyager... P'têtre au Congo, j'connais pas encore. Sinon j'irais
avec les Wampas à Palavas ! (Le Grand Journal - La Boite à Questions)
Il
y a tellement d'incertitudes dans ce monde que les gens se réfugient dans le
mysticisme. Je crois au hasard. L'imprévu, en Europe, est toujours considéré
comme quelque chose de négatif. Moi, j'essaie d'en faire quelque chose de
positif, d'en faire un voyage.
Internet,
c'est une chance immense ! Internet, c'est comme le monde, il y a des
trucs cool et il y a de la merde. Internet permet de communiquer, c'est une
super arme. Moi qui ne suis pas fixe, ça me permet de communiquer avec mes
amis, c'est génial. Internet est la plus grande encyclopédie de l'Histoire de
l'Humanité. Tu trouves tout !
J'ai
des références comme Bob Marley, qui est un maître de simplicité. Ses chansons
sont ultra-simples, mais elles touchent le coeur des gens et ne vieillissent
pas. Sinon, il y a des gens que je respecte beaucoup : les habitants du
Chiapas. Leur discours m'a ouvert les yeux. Ce sont les premiers qui m'ont
parlé de mondialisation.
J'ai
la chance de pouvoir voyager beaucoup. Quand tu voyages, il y a beaucoup plus
d'inspiration. Tu es beaucoup plus surpris par les choses que quand tu es
toujours au même endroit et que tu rentres dans une certaine routine.
J'ai
tout mon studio dans mon sac à dos et il est de plus en plus performant.
Là-dessus, je suis très content. C'est vraiment la voie que j'ai envie de
suivre et c'est de plus en plus réel. A l'époque de Clandestino et Proxima
Estacion Esperanza, je travaillais sur un matériel un petit peu plus lourd.
C'était une valise. Maintenant, c'est un sac à dos. C'est meilleur pour la
scoliose.
J'ai
une chance énorme dans ma vie par rapport au futur, c'est que je n'ai pas de
problèmes économiques. J'ai une immense liberté pour pouvoir me mettre dans
n'importe quel projet sans avoir un problème économique. Je n'ai pas besoin de
courir après l'argent.
Je
fume un joint et la musique sort toute seule. Par contre, l'inspiration, c'est
autre chose. Ça va, ça vient. Tu l'as et tu ne l'as plus. Au niveau musical,
c'est un flux continu.
Je
me laisse porter par le hasard des rencontres, des musiques, des accidents de
la vie. Je jette des tâches, comme si je peignais un tableau avec des bombes de
peinture. Je rajoute des couches, j'en enlève. Ce n'est pas si facile. Il faut
avoir la main verte. J'adore ça. Je me retrouve avec des centaines de petits
bouts de musique. C'est comme un immense Lego. Avec ça, il s'agit de faire de
l'ensemble de l'album une seule chanson, un voyage.
Je
ne suis pas un politicien, juste un petit artisan de la musique.
Je
ne voudrais surtout pas que la rébellion devienne mon fonds de commerce.
Je
suis contre la coke. Si les mecs qui prennent de la coke pensent faire la
révolution, ce sont des cons. Dans un pays où la contestation sociale commence
à monter, c'est toujours pareil, c'est justement là où les robinets à drogues s'ouvrent. (1994)
Je
suis pire qu'un bourricot. Quand je ne veux pas, je n'avance pas, tu peux me
donner des coups de bâton. J'en suis pas arrivé maintenant à cette étape de ma
carrière pour commencer à faire des trucs que j'ai pas envie de faire. Même
quand on bouffait de la merde et que c'était l'époque des vaches maigres, on
n'a jamais fait de concession, alors ce n'est pas maintenant que je vais
commencer à en faire, ça serait ridicule.
Je
veux dissocier mon gagne-pain de mes idées.
La
chanson française, je l'ai découverte sur le tard ; quand j'étais ado, je
n'écoutais que du bon rock'n roll anglais ou américain des années 50-60. Puis
il y a eu le punk et des groupes de rock français, mais le texte ne passait
pas. Le jour où j'ai vu à la télé un concert de Brel, j'ai vraiment pris la
claque de ma vie et je me suis dit « : « Lui, c'est un punk, un vrai,
tout en noir, tout en sueur. » Oui, la claque de ma vie !
La
seule solution, c'est l'optimisme. Mais être lucide sur le futur, c'est quelque
chose de très cruel. La seule voie possible par rapport à cela, c'est de ne pas
baisser les bras, d'avoir de l'espoir. Je ne me résous pas à me résigner. Il y
a cette phrase dans le disque : « La résignation est un suicide
permanent. » Je veux un jour avoir beaucoup d'enfants et je veux mourir en
me disant qu'ils vont vers un futur meilleur.
La
vie est belle, le monde pourri. (Manu Chao)
L'écriture
c'est compliqué. Quelquefois, je n'écris rien pendant six mois. Et d'autres
fois, j'écris trente chansons en une semaine. Je ne le choisis pas et je ne
peux pas me dire : « Aujourd'hui j'écris une chanson »,
parce qu'après, devant le papier, rien ne sort. La chanson vient toute seule,
et quand tu as une idée, tu dois l'écrire, sinon après tu la perds pour
toujours.
L'espoir, c'est déjà de ne pas se leurrer. C'est être conscient qu'il va falloir se serrer les coudes et attacher sa ceinture parce que ça va bouger. C'est se dire que les vingt prochaines années, ça ne va pas être du gâteau. Il faut être lucide. Il est clair que la société est en dégénérescence. Il va y avoir de la turbulence, donc il va falloir être vigilant. J'adore cette phrase de René Char, que j'avais mise dans mon disque : « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil. » Être lucide, ce n'est pas forcément facile. Mais à partir de là, il faut s'organiser pour essayer de trouver des solutions.
(août 2009)
Le
seul artiste vraiment mondial c'est Bob Marley. On trouve ses badges, ses
cassettes dans tous les quartiers du monde. Il a fait passer quelque chose de
positif et il est toujours là.
Le tout s’appelle « Puta’s fever » parce qu’en
Amérique du Sud ça veut dire « la chtouille ». C’est un pied de nez à
tous ceux qui disent que l’on est un peu les « vendus » du mouvement.
C’est la fièvre des putes… les putes c’est nous (Longueur d’Ondes, 1989).
Les
frontières sont bidons. Arbitraires, politiques. En France, c'est dans les
régions que s'expriment les identités culturelles. Moi je crois au régionalisme
culturel - mais pas à un régionalisme nationaliste ! Absolument pas. Ça,
c'est une terrible erreur.
Les
gens ont une attente incroyable envers moi, particulièrement en Amérique
Latine. Ils me font une confiance énorme, ils me demandent de résoudre tous les
problèmes du monde. Dans les conférences de presse que j'ai données là-bas, 10
% à peine des questions portaient sur la musique, toutes les autres
concernaient la politique.
Ma
génération a connu la fin du vinyle. Le CD aussi va bientôt finir. Je ne porte
pas de jugement de valeur car, si les anciens sont un peu tristes, les jeunes n'en
ont rien à péter. Nous sommes en pleine révolution et c'est passionnant.
On
m'a collé cette étiquette de porte-drapeau du mouvement altermondialiste parce
que je suis allé manifester à Gênes et que les « alter » aiment bien mes
chansons. La presse avait besoin de trouver une tête d'affiche et c'est tombé
sur moi, mais je ne suis ni un symbole ni un porte-parole. Je suis musicien.
(Manu Chao, Le Courrier International)
Pour
moi, les MP3, il faut gérer ça au niveau des gens. Des groupes connus qui
luttent contre le MP3, je trouve ça vraiment déplacé. Ces gens-là font déjà de
la caillasse ! On devrait plutôt se battre pour baisser le prix des
disques. Pour les « petits » groupes, le MP3 peut être dur à avaler.
Il faut acheter les jeunes groupes et graver les autres, les
« installés ». Les gens doivent prendre conscience qu'il faut
protéger les « petits » groupes.
Pourquoi, même quand les gens s'aiment, il y a toujours des problèmes ?
Prochaine station l'espoir, quoi qu'il arrive. Se résigner, c'est mettre un pied dans la tombe. Le système est une grosse farce. On parle de démocratie, mais quelle démocratie ? C'est la dictature de l'argent. On en a ou pas. Il y a quelque chose qui n'est pas démocratique dans la répartition de l'argent. C'est le capitalisme qui commande, le cannibalisme du pognon. C'est à celui qui va bouffer l'autre. Dans ses règles profondes, le capitalisme n'envisage même pas le commerce juste. C'est le profit uniquement. C'est une certaine dictature de ce point de vue.
(août 2009)
Quand
un type m'interpelle en me demandant comment on fait la révolution, je lui
dis : « Commence par faire le ménage autour de toi, mec, tu es sûr
que tu traites bien ta femme ? Méfie-toi des grands discours qui se
terminent mal, commence par faire la révolution dans ton quartier avec des
projets concrets que tu pourras réaliser. »
Sans
arrêt, les gens exigent de moi des réponses politiques. Je leur réponds :
« Je suis comme vous : perdu dans le siècle, je cherche toujours la
« tumba del Quijote », la tombe de don Quichotte. Ici ou là, je vois
des petites lumières, des points de fièvre, des endroits qui résistent, comme
au Chiapas. J'en parle, je le chante, un peu, faut pas non plus que ça me
prenne la tête.
Si on considère qu'un parti politique est comme une famille, moi, quand j'ai un problème dans ma famille, je ne l'expose pas à la télévision. En fait, ils peuvent se tirer dans les pattes tant qu'ils veulent, ce qu'il faut, c'est un balayage de toutes les règles pour recommencer autre chose. Il faut inventer d'autres règles, si on veut que les gens y croient de nouveau.
(août 2009)
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