À
la fin de Suicide, j'étais devenu un amuseur public. La mise en scène de mes
spectacles n'était rien de plus que du divertissement pour des spectateurs
finalement habitués à cette violence sur scène. On ne peut pas choquer et
surprendre dans la durée. Dans les années 70, mes pratiques étaient jugées
folles, on me prenait pour un aliéné. Et quarante ans après, personne ne s'attendait
à voir ce dingue exposer dans un musée, ce qui est vraiment jubilatoire. (à propos de son expo Infinite
Mercy au MAC de Lyon, 2009)
—
Anti-formelles, vos oeuvres plastiques ressemblent d'une certaine façon à votre
musique. Suivent-elles un même schéma d'inspiration ? —
Parfois, je suppose que mes visions sont différentes, mais c'est faux parce que
je reste la même personne, j'ai les mêmes empreintes digitales. Tout au long de
ma carrière, je me suis posé cette question, et je ne peux pas vraiment y
répondre. Il m'est arrivé de ne pas écouter les albums de Suicide pendant cinq
ou dix ans, juste pour pouvoir continuer à avancer. Ensuite je les redécouvrais
et je criais : comment ai-je pu arriver à une telle sonorité ? Je me suis
surpris à dire : putain, c'est vachement bien ! Et même en peinture, en
sculpture, en dessin, il m'arrive de me demander si c'est bien moi qui ai fait
ça. Quand je finis mon œuvre, j'en suis plus qu'estomaqué : elle ne rejoint
jamais mon concept de départ. Et ce sentiment est identique en musique ou dans
tout autre art, cela va où cela veut aller. Ce qui me procure un sentiment de
liberté psychique et de pouvoir. C'est mon environnement qui nourrit ce travail
artistique. On grandit, on fonde une famille, on élève des enfants. On pense
différemment. (à propos
de son expo Infinite Mercy au MAC de Lyon, 2009)
Bien sûr, ce sera toujours Suicide nos empreintes. Vous ne
pouvez pas vous en débarrasser.
C’est ce qu’il y a de triste dans beaucoup de musique moderne,
tant de jeunes groupes ne restent pas assez longtemps pour tenir leur promesse
ultime. Ils arrivent à la moitié ou au quart de cela.
C’était génial. Nous étions assis dans la même loge que Johnny
Cash et Willie Nelson et tous ses mecs. C’était en soi incroyable – j’étais
dans le même espace que ces gars.
Ce
type avec sa frange blonde - qui ressemblait à Brian Jones - a déboulé sur
scène et d'abord j'ai cru que c'était une nana. Il portait une salopette
déchirée et des mocassins super ridicules. Il avait un look vraiment délirant -
à fixer la foule en gueulant : "Je vous emmerde, je vous emmerde ! "
Ca a changé ma vie parce que j'ai compris que tout ce que je faisais, c'était
de la merde. (à propos d’Iggy
Pop)
David
Bowie n’invente plus rien, il se contente de vampiriser tout le monde et de se
pointer au bon moment avec le son qu’il faut, pour ça il est fort, mais il ne
découvre rien. C’est la méthode Picasso, il pompe le passé et après il nous
refile sa semoule. Quand à ses films,
ils puent... (1983)
J’ai
débuté comme peintre. La première fois que j’ai réalisé une « sculpture lumière
» je travaillais sur une peinture de grand format de couleur violette. Une
seule ampoule éclairait la pièce, et comme j’allais et venais, j’ai remarqué
que la peinture prenait différents aspects. Je n’arrivais pas à obtenir l’unité
de couleur que je cherchais et je me suis dit : « fuck this man » ; j’ai
décroché l’ampoule du plafond, et je l’ai littéralement plantée sur ma
peinture. Cela m’a ouvert à l’idée même de couleur, alors que je voulais la
contrôler, j’ai commencé à voir à quel point la lumière pouvait modifier une
peinture : c’est la lumière qui détermine la peinture […]. Dés que j’ai
commencé à travailler avec l’éclairage, j’ai utilisé de plus en plus
d’ampoules, à la place de pigments. Les ampoules de couleur sont devenues ma
propre palette. (2009)
J’ai toujours dit que je ne serais jamais un entertainer,
Suicide n’a jamais supposé être de l’entertainment.
J’ai
vu l’un de leurs premiers concerts (aux
Ramones). Ça donnait quelque chose comme « 1-2-3-4
BRRAAAGAWGGH ! ». Un genre de rugissement. Puis l’un d’entre eux
cassait une corde et ils sortaient de scène. Ils revenaient
« 1-2-3-4 » et la même chose se reproduisait. On était là à se
marrer. Pourtant la musique était d’une intensité incroyable. C’était ce que
j’avais vu de mieux depuis les Stooges. Ça a changé ma vie.
J’aime les performers que je sais vrais. Vous pouvez dire qu’il
y a une intensité dans ce qu’ils font. Vous pouvez dire immédiatement qu’ils
sont des gens vrais.
J’aimerais
peut être me tirer très loin, là-bas, pour mourir dans une orgie d’opium. En
Chine. Juste me mettre à fumer et ne
plus jamais cesser de fumer. De l’opium. D’ailleurs, c’est comme ça que les
vieux meurent, là-bas. Ils partent en fumée… (1982)
Je
dessine exclusivement des gens, les visages m’intéressent plus que tout le
reste. Je jette la plupart de mes dessins. Il faut que l’inspiration vienne de
façon naturelle. Elle vient quand j’écris des chansons ou des poèmes. Il faut
juste essayer de plonger au plus profond de soi-même. Pour être franc, je
déteste écrire, et curieusement, je ne peux m’y mettre qu’à condition de dessiner
un portrait. (1997)
Je
faisais plutôt de l’art abstrait mais j’aimais aussi faire des portraits de
sans-abris, appelés aujourd’hui « bums » (clochards). Après l’école d’art, pour
gagner de l’argent, j’ai commencé à faire des portraits sur commande. Mais cela
sans jamais m’arrêter de dessiner des portraits d’inconnus - désespérés, sans
domicile. Pour quelque raison que ce soit, je m’identifie à eux. (2008)
Je
n'ai jamais rien entendu qui soit de l'avant-garde. Pour moi, c'était seulement
le blues de New York City. (au sujet de Suicide en 1980)
Je ne pourrais pas l’écouter avant cinq ans. C’est à ce
moment-là que j’écoute toujours ma musique. Ça me prend cinq ans pour m’assoir
avec elle après ne pas l’avoir écoutée pendant des années.
La
guerre du Viêt-Nam a fauché une partie de la jeunesse américaine. Un gâchis
atroce duquel il n’y a rien à sauver.
Aujourd’hui l’état du monde ne s’est pas arrangé. Parfois, ça me rend
physiquement malade : guerre du Golfe, Bosnie, attentats ici et là. (1995)
La
réalité c’est qu’au début de ma carrière j’étais pauvre. Un jour, j’ai même
volé toutes les ampoules d’une station de métro de New York. Enfin j’en ai
quand même laissé deux pour que les gens ne tombent pas dans les escaliers.
(2009)
L’expérience fait vraiment de vous un homme meilleur.
Les gens ont dit qu’au début j’étais l’un des premiers rappeurs.
C’est parce que je ne savais pas chanter, il fallait donc que je parle ! Lou
Reed est certainement celui qui a lancé tout ça.
Mon
art, c’est l’art de l’objet trouvé et c’est aussi de la récupération. (2009)
Nous
savons tous ce qui s’est perdu un jour dans le rock’n’roll. Même si c’est
indéfinissable. Ce qu’avaient Gene Vincent, Vince Taylor ou Question Mark. Ce
que le punk a cherché désespérément. Pas quelque chose qu’il fallait revivre.
Une manière de transcrire la réalité dont on est incapable aujourd’hui. Tous
ces groupes s’agitent mais ne disent vraiment rien. (1981)
Une
fois l’exposition terminée, personne n’avait rien acheté, alors j’ai déposé mes
sculptures dans la rue, derrière la galerie O.K. Harris, comme des ordures. Les
gens de la galerie avec qui je travaillais étaient horrifiés. Moi je leur
répondais qu’elles venaient de la poubelle, qu’elles allaient y retourner de
toute façon, que je les avais assemblées, qu’elles étaient devenues des oeuvres
d’art, et que maintenant elles retournaient à la rue pour redevenir des
ordures. Il ne s’agit pas d’un art lissé et j’apprécie le fait qu’elles soient
composées à partir de déchets ou de rebuts. (2009)
Rock'n'roll is killing my
life.
Qu’il
chante, qu’il compose de la musique ou qu’il fabrique des croix, d’aussi loin
que je m’en souvienne et même au-delà, Alan Suicide alias Alan Vega, a toujours
médité sur la crucifixion, la mort et l’extase, de toutes ses forces. (Julian
Schnabel)
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